Le temps qui passe - 32e message

Je n'arrive pas à empêcher le temps de filer entre mes doigts.

C'est vrai, à peine je commence une nouvelle journée qu'elle s'achève déjà sans que j'ai pu en extraire quoi que ce soit. C'est assez terrifiant de me rendre compte à quel je perds mon temps. Cette expression est très juste. Je sais que je n'ai pas beaucoup de temps à passer sur terre et pourtant, malgré cette évidence, je n'arrive pas à profiter de chaque minute qui passe. A vrai dire, et c'est ça qui est, je crois, le plus flippant, je ne sais pas comment profiter du peu de temps qui m'est offert.

Ma vie ressemble à un gros dimanche qui s'étalerait sur plusieurs décennies. A peine le temps de se mettre en piste, que le tour est déjà fini. Et entre les deux, je perds mon temps à essayer de comprendre comment ça marche. Je passe mes dimanches à essayer de savoir ce que je vais pouvoir en faire et quand j'échappe enfin à mes tergiversations, toutes les précieuses heures qui composaient ma journée se sont égrainées. Il n'en reste plus rien. Et j'ai beau faire traîner le plus possible, il arrive un moment où il faut bien renoncer. Il faut que j'aille me coucher : que je dise définitivement adieu à mon dimanche qui promettait pourtant d'être riche.

Moi je me demande ce que ça veut dire d'abord "avoir une vie bien remplie" ? Est-ce qu'on peut dire ça quand on a possédé plein de choses ? quand on a fait plein de voyages ? quand on a rencontré plein de gens ? quand on a créé une oeuvre ? quand on a eu des enfants ? quand on a connu l'amour ?

Je n'ai pas la réponse, bien sûr, mais j'ai comme l'impression qu'une vie bien remplie ce n'est rien de tout cela. Évidemment, avoir des amis, des objets, des enfants, un chef d'oeuvre, ça occupe, mais je ne suis pas certain que ça remplisse une vie. Je veux dire : est-ce que s'agiter dans tous les sens ça remplit sa vie ? Ou est-ce qu'au contraire, une vie bien remplie c'est une vie dans laquelle on a plus besoin de s'agiter pour la rendre vivante ?

Peut-être qu'avoir une vie bien remplie c'est ressentir chaque instant intensément. Chaque instant quel qu'il soit : bon ou mauvais, joyeux ou triste, léger ou grave. Peut être que c'est ça que je ne fais pas. Rire pour de vrai, pleurer pour de vrai, manger pour de vrai, travailler pour de vrai, faire du sport pour de vrai, partager pour de vrai avec des gens vrais... Ne pas me contenter du simulacre que je joue au quotidien : bien poli, bien réglé et où les émotions n'ont pas leur place.

Savoir vivre ses émotions demandent peut être un apprentissage long comme une vie. C'est sans doute parce que notre monde nous coupe sans cesse de nous-mêmes. Il nous détourne de nous en nous occupant l'esprit avec des choses, des voyages, des gens, des enfants, des chefs-d'oeuvre, un travail, des relations sociales,... une vie de surface en quelque sorte.

Peut-être faut-il que j'arrive à regarder au fond de moi pour comprendre que ma vie est à l'intérieur de moi et pas autour de moi ? Peut être que lorsque j'aurais compris ça je n'aurais plus peur de laisser le temps filer entre mes doigts. Peut être qu'alors le temps me fortifiera plutôt que de m'affaiblir. Peut être qu'alors j'aurais grandi...