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Gay.mais.pas.que
24 janvier 2011

Retour de flamme

Ce matin j’ai fait un inventaire, très tôt, avant que toutes les lumières s’allument, avant que les premiers clients viennent hanter les lieux. Avant que le bruit ne renaisse de ses cendres encore fumantes de la semaine passée. Avant que les voix, les regards et les ombres ne réapparaissent.
C’est une activité qui ne me demande pas beaucoup d’efforts, sinon celui de ne pas mourir d’ennui. Il ne s’agit pas de faire fonctionner mon cerveau un temps soit peu pour mener une quelconque réflexion ou trouver la solution à un problème quel qu’il soit. Rien de tout cela quand on inventorie. Finalement ça me va bien de fonctionner à demi, l’air de rien.

Paradoxalement, m’adonner à une semi-somnolence me plonge presqu’involontairement dans une réflexion profonde et alambiquée. Une sorte de retour sur soi, pour emprunter au registre spirituel un terme qui ne veut pas dire grand-chose. D’ailleurs ce serait plutôt un retour à soi, à ces morceaux de tout et de rien qui me composent. Je ne suis, nous ne sommes, qu’un amoncellement de souvenirs et d’expériences, à l’équilibre vacillant. Un tas de vieilleries pourrait-on dire, sans aucune valeur, sauf celle, sentimentale, que nous nous efforçons de mettre à l’intérieur. Ca les rend plus faciles à transporter jour après jours dans les recoins poussiéreux de notre mémoire capricieuse. Des souvenirs comme s’il en pleuvait. Des vrais, sans doute, des faux aussi, sûrement. Des souvenirs recomposés à partir d’images du passé dont j’ai à peine réussi à imprimer dans mon cerveau une pâle copie il y a de cela des jours, des mois, des années - et peut être des siècles si j'ai eu plusieurs vies, sait on jamais.

Je me souviens des lundis après midi au ciel plombé. Le gris foncé et uniforme de la chape de nuages contrastait avec la blancheur des néons de la salle de classe. Le réconfort d’être parmi les « miens » dans cette école pourtant, parfois, si hostile. Le sentiment d’être à l’abri du « Grand Dehors » si sombre, si menaçant. La pureté de ces îlots de lumière blanche quand dehors la nuit venait doucement rejoindre la grisaille pour envelopper notre petit monde de leurs ténèbres. La douceur du temps qui s'écoulait en nous.

Je me souviens de la buée sur les vitres. Du bruit de la cocotte minute et de l’odeur des légumes. La soupe. Rien ne me paraissait plus rassurant que faire mes devoirs, penché et appliqué sur la table de cuisine en humant à plein nez l’odeur de la soupe de légumes. Le tchipii-tchipi-tchipp du couvercle de la cocotte et la vapeur qui sortait à grands jets quand maman venait libérer la soupape. On aurait dit un danseur russe cette soupape qui tournait sur elle-même avec sa chapka brune. La lumière criarde de l’ampoule au plafond, sertie dans sa suspension en verre et en porcelaine, aux dessins vaguement campagnards et à l’abat jour orange. La sérénité, l’idée un peu fofolle que rien de grave n’arrive jamais. Que la vie c’est comme ça : les soirées d’hiver rendues plus douces par la chaleur de la lumière, de la vapeur et de la soupe.

Je me souviens des matins de juin, quand on prenait notre petit-déjeuner, mes sœurs et moi, avant de descendre à l’école ; encore quelques fois avant les grandes vacances, mais déjà l’école ne demandait plus beaucoup d’efforts. A cette époque de l’année on y faisait plus que jouer. Je me souviens des rayons du soleil levant qui venaient inonder la pièce. Des reflets d’or, des reflets rouges, brillants, presque éblouissants. Et les objets du quotidien qui révélaient un nouveau visage dans cet océan rougeoyant. Le poste de télé qu’on aurait presque  dit allumé, comme éclairé de l’intérieur par le soleil qui surgissait de derrière la Terre. Les meubles simples, sans style, qui devenaient étincelants, à la manière des pierres précieuses qui captent la lumière pour mieux la renvoyer. Les bols, les cuillers, la boîte de chocolat en poudre. Tout devenait plus accueillant, plus sympathique, plus vivant. La journée commençait bien. Elles étaient rares ces journées dans l’année où le soleil venait nous dire bonjour presqu’à nous tout seul avant de faire profiter les autres enfants du monde de ses bienfaits. Ça nous rassérénait drôlement de savoir que l’astre du jour veillait sur nous, même si nous n’en avions pas conscience. Ça nous mettait de bonne humeur, sans qu’on sache vraiment pourquoi…

Je me souviens de tous ces moments et de bien d’autres encore que je veux croire comme ayant réellement existé. J’espère en secret qu’il y en aura encore de nouveaux jusqu’alors inconnus de moi,  mais j’ai peur qu’ils ne soient qu’une piètre copie du passé, d’un sentiment vaguement perdu, comme assoupi.
La vie c’est cela finalement : un bric-à-brac de sentiments. Un méli-mélo d’émotions. Un grand n’importe quoi d’idées, d’envies, de joies et de peines. Un enchevêtrement de visages et de situations. Et par-dessus tout ça, un son, une lumière, une odeur.

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Commentaires
F
l'émotion, comme guide, musarde, fait l'école buissonnière comme ton très joli texte. Pourtant elle sait fort bien où elle va, contrairement à nous, et peut emprunter la puissance d'un torrent pour imposer son grand n'importe quoi.
E
Un souvenir c'est une sensation, une touche, une pulsation, ce peut être n'importe quoi. Un souvenir c'est tout sauf de la raison. Un souvenir c'est de l'émotion et l'émotion ça part dans n'importe quel sens, n'importe comment. Un souvenir c'est précieux parce que c'est un morceau de nous même emprisonné dans une bulle d'espace-temps. Un souvenir....
T
Ton billet est un concentré de nostalgie ! Des souvenirs de devoirs faits à la cuisine et de soupe qui cuit dans cocote minute, j'en ai plein la tête ! Et cette odeur si particulière du choux qui se dégage... Les matins d'école du mois de juin, quand il fait déjà bon à 8heures et que le soleil déjà réchauffe la terrasse où l'on prend son petit déjeuné, et que les blés blonds annoncent les vacances.<br /> <br /> Un grand n'importe quoi ? Je te trouve sévère. Tout n'est peut être pas très ordonné. Mais un souvenir, chargé d'émotions, ça n'est jamais n'importe quoi.
G
Très poétique ton message. On a tous ce genre de souvenirs. Quiétude de l'instant.
S
Bric à brac peut etre mais comme une construction quand même! <br /> <br /> Comme le mur qui pierre a pierre permet d'édifier la maison dans laquelle les odeurs et les bruits finissent par devenir des souvenirs et ce soleil qui vient illuminer le salon et les coeurs...
Gay.mais.pas.que
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